Le 7 en Indo (26)
Il a vite la confirmation de ce qu'affirme son interprète par la découverte dans un des sacs à dos, du drapeau du régiment et par les premiers interrogatoire des prisonniers par l'officier de renseignement, le lieutenant Dufossé, qui lui apprend que parmi ses prisonniers se trouve l'adjoint au colonel commandant le T.D. 98. Cela le remplit d'aise et lui fait oublier toutes les émotions et les fatigue d'une nuit exceptionnellement agitée.
A 8 heures, l'ensemble du bataillon fait mouvement sur Trac-Nhiet que nous entendons bien cette fois-ci occuper sans coup férir, puisque le village a été évacué par les viets. Chemin faisant, un groupe de la 2e compagnie tombe sur un viet abrité derrière une diguette qui regarde venir à lui les tirailleurs. Estimant que compte tenu du gros gibier que la compagnie a récupéré quelques instants auparavant, il est préférable de le faire prisonnier, le lieutenant Moreau, informé, interdit à ses hommes de tirer. Les tirailleurs l'approchent avec quelques précautions prêts à le cribler de balles s'il esquisse le moindre geste hostile. Mais il se contente de les regarder fixement, très fixement même au point que le lieutenant Moreau et ses hommes en arrivent à se demander, s'il n'est pas en train de se payer leur tête ou peut-être d'attendre qu'ils soient à un endroit précis pour actionner une maudite mine ananas et les envoyer ad patres. Pour éviter toute surprise de ce genre le lieutenant Moreau le fait contourner par quelques hommes et très vite ceux-ci se rendent compte que le valeureux combattant a été rendu définitivement inoffensif par un éclat d'obus qui l'a coupé en deux à hauteur de la poitrine et que son buste s'est fiché droit dans la rizière, la tête dépassant juste la diguette. Spectacle hallucinant, rappelant celui auquel avait assisté le lieutenant Chiaramonti six mois auparavant en attaquant le village de Oc-Thon.
Le bataillon pénètre enfin dans Trac-Nhiet. Le village est occupé et fouillé. Il ne reste plus grand chose de Trac-Nniet, complètement labouré et retourné par les bombardements aériens, mais les organisations du terrain, les "trous bouteilles" sont intacts dans les haies de bambous qui entourent le village et dominent la rizière. C'est pour nous, fantassins, une excellente démonstration de l'efficacité d'une bonne organisation du terrain, même quand l'assaillant, et c'était notre cas, dispose de moyens considérables de tir.
Les résultats du bombing de la chasse et des B 26 sont assez impressionnants, en particulier sur les lisires où des groupes entiers de viets ont été grillés au napalm au point qu'au premier instant on se demandait s'il ne s'agissait pas en réalité de sénégalais ayant déserté nos rangs et se battant contre nous. Le spectacle qu'ils offrent est effrayant et l'odeur de la chair grillée devient insoutenable. Pour les viets, cet enfer a été leur plus sévère défaite dans le Delta, dira un officier prisonnier. Le village n'est que ruines. La mission est remplie. Le bataillon compte ses pertes : 13 tués dont le commandant de la 1ère compagnie, le lieutenant Lefin, et 50 blessés dont le lieutenant Mary. Qu'importe le détail des pertes considérables du Viet puisqu'il s'agit de l'anéantissement pur et simple du T.D. 98, l'un des joyaux de l'armée du général Giap.
La fouille de cette véritable forteresse dure les 21 et 22 avril et permet de récupérer encore quelques armes et de mettre la main sur quelques "Du-Kich" cachés dans des trous. Des viets égarés, habillés en civil pour passer inaperçus sont tués ou faits prisonniers. Bon nombre ont jeté leurs armes. Une visite plus approfondie des emplacements de combat aboutit à des constatations très intéressantes et permet de comprendre pourquoi bon nombre de défenseurs ont pu échapper aux effets destructeurs du napalm. La parade qu'ils ont imaginée est toute simple. En assemblant des troncs de bananiers, ils ont confectionné de véritables couvercles ignifugés sous lesquels, au moment des arrosages, ils ont trouvé une protection a peu près totale.
Il reste quand même que cette rude empoignade avec l'un des régiments viets les plus réputés du delta tonkinois sinon du Nord-Vietnam, met une fois de plus en valeur les qualités légendaires des unités de tirailleurs. Autant lors qu'il est au repos ou en garnison Mohamed est une source constante de tracas et de chikaïas, autant au baroud son courage et ses ressources sont inépuisables.
Au cours d'opérations "de détails", les ours qui suivent complètent le bilan. La 4e compagnie convoie 150 viets faits prisonniers par les unités du G.M. dont le colonel commandant le régiment 98 et son adjoint. Les autres bataillons du G.M.N.A. le 2/1 R.T.A. et le 2/6 R.T.M. ont également participé à ce beau bilan. Il n'est pas besoin de noter que le groupe de marche du 64e d'artillerie et le peloton de chars M5 du groupe mobile ont de leur côté contribué largement au succès de l'opération qui fait date dans les annexes du groupe mobile Nord-Africain, le "Gimina". Jusqu'au 29 avril la fouille de la zone se poursuivra. L'affaire a été importante, les moyens mis en œuvre considérables, mais le bilan est largement à la mesure de ces moyens :
- G.M.1 (G.M.N.A.)
- G.M.3 (Groupement Muong)
- G.M.6 + S.G. B1
- G.M.7
- pertes amies : tués 76 dont 7 officiers, blessés 261 dont 4 officiers, disparus 32.
- pertes ennemies : tués 898 dont 10 officiers, prisonniers 1.269 dont 68 officiers, suspects arrêtés 1.953.
- matériels récupérés : 558 fusils, 55 f.m., 8 mitrailleuses, 76 p.m., 28 mortiers de 60mm, 3 de 81mm, 18 p.a., 11 bazookas, 3 postes de radio. Le 98e régiment viet a été anéanti.
Jusqu'au 4 mai, chaque jour viendra allonger la liste des pertes adverses dans cette région. Le 1er mai, la 238e C.L.S. est dissoute et chacune des 4 compagnies e R.T.A. reçoit une section de supplétifs dont on appréciera par la suite l'efficacité.
Le 22 septembre 1952, Monsieur Pleven, ministre de la Défense nationale, signait à Paris une citation à l'ordre de l'Armée destinée au 4e bataillon du 7e régiment de tirailleurs Algériens. On y lit : "Dans la région de Bac-Ninh, le 20 avril 1952, s'est lancé à trois reprises, à l'assaut des puissantes organisations établies par le régiment 98 dans les villages de Trac-Nhiet et de Mo-Dao forçant l'ennemi au corps à corps dans ses blockhaus de lisière puis à l'intérieur des villages et s'emparant finalement de tous ses objectifs. Dans la nuit du 20 au 21 avril a brisé net la tentative de percée en force d'un bataillon, tuant une centaine de rebelles et capturant le P.C. de l'unité , son drapeau, plusieurs officiers et une soixantaine de soldats réguliers préparant ainsi la voie à l'anéantissement du régiment 98 le 21 avril".
Par les généraux Good et Mary et les colonels Chiaramonti, Moreau et Antoine.