* Messaoud
Le jour de son incorporation au régiment, ce n'était encore qu'un petit agneau. Devenu un solide bélier, il sert aujourd'hui, selon la formule consacrée, "la grandeur des armes de la France". Mérinos de trois ans à laine claire, El-Messaoud est la mascotte du 1er régiment de tirailleurs d'Epinal et porte sur ses épaules de mouton le poids des traditions de l'armée d'Afrique.
"Il participe à toutes les prises d'armes et à toutes les cérémonies, explique le lieutenant Jean-Pierre Beneytoux. Notre régiment a voulu renouer avec les traditions nord-africaines et nous avons incorporé un bélier ce pourrait aussi être un bouc à notre nouba", la musique réglementaire des tirailleurs. Seul ovin engagé dans l'armée de terre, El-Messaoud possède donc son uniforme, un tapis bleu ciel aux armes du régiment qu'il porte sur le dos. "Nos anciens doraient les cornes de leur bélier, mais cela ne se fait plus", précise le lieutenant Beneytoux.
Pour le reste, les traditions sont sauves. Après avoir fait preuve d'indiscipline en chargeant la compagnie pendant une prise d'armes, l'animal a été condamné "pour rire", précise l'officier à vingt jours d'arrêt par le chef de corps. Son motif lui a été lu comme il se doit au moment du rapport ! El-Messaoud, "le Chanceux", vit à la caserne, le quartier Varaigne, dans une cabane sur laquelle son nom est inscrit, comme il se doit, en arabe. Deux fois l'an, il a droit à des permissions... chez les brebis. Cet été, à son retour, il recevra la médaille de bronze de la Défense nationale.
Dressés comme des chiens. El-Messaoud est le troisième bélier du régiment. Ses prédécesseurs, El-Djounoud et Messaoud Ier, ont été "réformés", c'est-à-dire donnés à des paysans. "Ils devenaient méchants", explique un militaire. Le bélier n'est pas une bête facile. "Les tirailleurs nord-africains arrivaient à les dresser comme de vrais chiens. Regardez les photos de l'entrée des soldats français à Rome en 1944. L'animal défile devant les troupes, sans laisse", raconte le lieutenant Beneytoux, fils de tirailleur et qui prépare un doctorat d'histoire. "Il faut faire très attention, ajoute-t-il, lorsque nous organisons des méchouis. L'odeur du mouton grillé rend El-Messaoud très agressif. Il charge alors sur tout ce qui passe." Pour apprivoiser l'animal, les anciens tirailleurs avaient une méthode infaillible : lui donner des cigarettes à manger... "Les béliers adorent le tabac", remarque l'officier, mais l'habitude semble s'être perdue. Peut-être l'un des rares triomphes de la loi Evin.
Tradition. L'emploi des ovins et des caprins comme mascottes régimentaires est un grand classique, qui n'est pas réservé aux troupes d'Afrique du Nord. Ainsi, le Royal Welch Fusiliers avait déjà sa chèvre en 1775 et le régiment néerlandais Stoottroepen aligne également un bouc. En France, cette tradition s'était perdue avec la dissolution des régiments de tirailleurs, après la guerre d'Algérie. Sa renaissance est, pour une grande part, l'oeuvre de Philippe Séguin.
Maire d'Epinal, monsieur Séguin avait dans sa bonne ville un régiment d'infanterie tout ce qu'il y a de plus classique, le 170e de ligne. Monsieur Séguin avait aussi un papa, aspirant au 4e régiment de tirailleurs tunisiens, mort au combat en 1944 dans la vallée du Doubs. Le hasard des affectations militaires faisait aussi que le dernier régiment de tirailleurs, le 7e RTA, avait été dissous à Epinal en 1964. Trente ans plus tard, Philippe Séguin s'employa à convaincre le ministre de la Défense de l'époque, François Léotard, de l'urgence de réintroduire les tirailleurs dans l'ordre de bataille des armées. Ce fut fait en 1994, lorsque Léotard signa le décret transformant le 170e RI en 1er RTir, régiment héritier des traditions des tirailleurs algériens, marocains et tunisiens. Le bélier faisait partie de l'héritage.
Folklore. Il n'est pas le seul. La fanfare fut transformée en "nouba", dont les hommes portent une tenue remontant au Second Empire : boléro bleu ciel, chéchia et ceinture "cramoisies", c'est-à-dire rouges, pantalons gonflants, guêtres blanches. Grand style ! Lorsqu'ils ne paradent pas avec El-Messaoud, la quinzaine de soldats servent plus prosaïquement à la compagnie antichars. Seul l'un d'entre eux, le "maître-bélier", s'occupe à temps complet de l'animal. Quant au tirailleur de base, il se contente d'arborer le "croissant de l'islam" sur le béret noir. Outre "l'étoile chérifienne" et "l'hirondelle de la mort", le nouvel insigne régimentaire comprend une inscription en arabe, "Awal, daïman awal", signifiant "Premier, toujours premier".
Par MERCHET Jean-Dominique